ATHÉROSCLÉROSE

ATHÉROSCLÉROSE
ATHÉROSCLÉROSE

L’athérosclérose est une lésion de la couche interne (intima) des artères. Chez l’homme, elle est la cause dominante des obstructions qui touchent les artères de gros et de moyen calibre dans la grande circulation – celle qui véhicule le sang du ventricule gauche du cœur jusqu’aux organes.

Les premières descriptions précises de l’athérosclérose ont été faites durant la seconde moitié du XIXe siècle, mais elle n’a été ainsi baptisée qu’en 1904, par l’Allemand Felix Marchand (Atherosklerose ). Le mot est bien choisi, car il combine deux racines grecques qui désignent les deux composants primordiaux de la lésion: l’athérome (de athêrôma , «kyste rempli de matière graisseuse») et la sclérose (de sklêros , «dur»). La lésion élémentaire d’athérosclérose, ou plaque simple, est en effet un épaississement localisé de l’intima artérielle formé d’un amoncellement de tissu fibreux dur (sclérose) enchâssant un centre mou constitué de lipides (athérome, ou cœur lipidique de la plaque). En quantité, la sclérose prédomine sur l’athérome dans une proportion d’au moins 3/1.

Les maladies résultant de l’athérosclérose consistent en une ischémie, ou insuffisance d’apport sanguin à l’organe irrigué par l’artère obstruée. La variété des manifestations de l’athérosclérose vient de la diversité de ses localisations. Tous les organes peuvent être atteints par une ischémie d’origine athéroscléreuse, mais les trois cibles principales sont le muscle cardiaque (myocarde), par l’obstruction des artères coronaires, le cerveau, par l’obstruction des artères cérébrales (artères carotides et vertébrales au niveau du cou et leurs branches dans le crâne), et les membres inférieurs, par l’obstruction des ramifications terminales de l’aorte qui leur sont destinées (artères iliaques, fémorales, poplitées, jambières). Se manifestant essentiellement chez les personnes âgées de plus de 40 ans et avec une fréquence accrue à mesure qu’elles vieillissent, l’athérosclérose est, avec le cancer, une des causes premières de maladie et de mort dans les pays occidentaux. Ses origines et ses mécanismes restent incomplètement élucidés. La médecine n’en dispose pas moins de moyens efficaces pour la traiter et en ralentir l’évolution.

1. Maladies imputables à l’athérosclérose

L’athérosclérose ne se localise qu’en certains segments des artères de gros et de moyen calibre, correspondant généralement à des zones où la circulation du sang soumet la paroi de l’artère à des contraintes physiques particulières: courbures, bifurcations, embranchements.

La manifestation la plus commune est la maladie coronaire, ou ischémie du myocarde par athérosclérose coronaire. Les lésions responsables se situent principalement sur les origines et les premiers centimètres des artères coronaires: artère coronaire droite et artère coronaire gauche, avec son court tronc commun qui se divise en artères interventriculaire antérieure et circonflexe. L’athérosclérose coronaire peut se manifester de différentes manières: soit par une angine de poitrine (douleur vive, en étau, du thorax, irradiant parfois vers le bras gauche ou vers la mâchoire), traduisant une insuffisance temporaire de l’apport de sang au myocarde, typiquement à l’occasion d’un effort physique, mais aussi parfois spontanément en dehors de tout effort; soit par un accident aigu, quand une partie du myocarde est brutalement privée de tout apport sanguin, ce qui provoque un infarctus du myocarde (mort ou nécrose du muscle) ou parfois un décès subit. L’ischémie cérébrale se manifeste par des attaques (ictus, apoplexie), souvent par une paralysie d’une moitié du corps (hémiplégie), qui peut être durable ou transitoire. L’ischémie des membres inférieurs provoque une douleur musculaire à la marche (claudication intermittente) et peut, quand elle est sévère, déterminer la survenue de gangrènes du pied. Moins communément, d’autres territoires peuvent être atteints, avec des conséquences très variées: reins, intestins, membres supérieurs, yeux...

L’ischémie du myocarde est presque exclusivement d’origine athéroscléreuse. En revanche, l’ischémie des membres inférieurs, et plus encore celle du cerveau, ressortissent souvent à d’autres causes: embolies d’origine cardiaque, maladies artérielles distinctes de l’athérosclérose.

2. Évolution clinique de l’athérosclérose

On distingue les plaques simples et les plaques compliquées selon que la lésion a ou n’a pas la capacité immédiate de se manifester en provoquant l’ischémie de l’organe irrigué par l’artère atteinte.

Plaque simple

La structure de la plaque simple est celle qui a été signalée dans la définition: épaississement scléreux de l’intima au sein duquel se trouve un noyau lipidique plus ou moins volumineux, l’ensemble ayant un aspect proche de celui d’un abcès ou d’un kyste. La plaque est lisse et régulière, couverte d’une couche de cellules (endothélium) qui garantit la fluidité du sang au contact de la lésion. La plaque simple est absorbée dans l’épaisseur de la paroi artérielle. Cela est dû à un remaniement de la géométrie de l’anneau artériel (remodelage) qui lui permet de conserver sa forme ronde et son calibre normaux. Malgré la plaque, le sang s’écoule donc normalement dans l’artère. À l’artériographie (radiographie effectuée après l’injection d’un produit de contraste opaque aux rayons X), la lumière, c’est-à-dire la cavité du conduit artériel, apparaît normale. Pour détecter la plaque, il faut obtenir une image de la paroi épaissie, ce que permettent d’autres techniques d’imagerie (ultrasons, résonance magnétique).

Le tissu athéroscléreux est constitué de cellules dispersées au sein d’une matrice fibreuse dense faite de protéines (collagènes, élastine, protéoglycanes) formant une armature compacte. Le centre athéromateux est presque exclusivement composé de lipides, où prédomine le cholestérol, et on n’y trouve que des débris de cellules mortes (d’où le nom de centre athéro-nécrotique). Les cellules de la plaque appartiennent à deux familles: celle des cellules musculaires lisses, originaires de la paroi artérielle elle-même (elles sont plus abondantes dans les parties scléreuses qu’au pourtour du cœur lipidique); et celle des globules blancs (leucocytes), venus du sang, qui sont de deux sortes: les monocytes, dont la répartition est inverse de celle des cellules musculaires, et les lymphocytes T, en moindre nombre que les monocytes ou les cellules musculaires, mais à peu près régulièrement répartis au sein de toute la plaque. Une forte proportion des cellules situées au pourtour du centre athéromateux sont dites spumeuses, parce qu’elles sont bourrées de vacuoles lipidiques. Il s’agit de monocytes et de cellules musculaires.

La plaque présente souvent des zones de calcification ou même de véritable ossification, qui contribuent à sa dureté. Elle est irriguée par un riche réseau de petits vaisseaux qui se développent en même temps qu’elle (alors que, normalement, les couches internes d’une artère sont dépourvues de toute vascularisation). Sous la plaque qui s’édifie dans l’intima, la couche musculaire moyenne (média) est amincie.

De telles plaques simples sont extrêmement communes dans les artères humaines. Une étude menée à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, sur une grande série d’autopsies a trouvé que, dans la tranche d’âge 35-40 ans, il existe une plaque athéroscléreuse à l’origine de l’artère coronaire interventriculaire antérieure (l’un des sites favoris de la maladie) chez deux individus sur trois. L’athérosclérose est une lésion beaucoup plus banale que les maladies qu’elle peut provoquer.

Plaques compliquées

Pour causer une ischémie, la plaque doit s’être compliquée au point d’entraver la circulation du sang vers l’organe irrigué. Deux complications principales sont à distinguer: l’une chronique, la sténose, qui s’édifie généralement «à bas bruit»; l’autre aiguë, la rupture, qui peut se révéler par un accident subit.

Sténose

Une plaque peut augmenter progressivement de volume jusqu’à dépasser les capacités compensatrices du remodelage artériel. La lumière commence alors à se déformer: la saillie de la plaque rétrécit peu à peu l’artère, déterminant une sténose (du grec stenos , «étroit»). Passé un certain degré de sténose (généralement supérieur à 75 p. 100 du calibre originel de la lumière artérielle), l’écoulement du sang est perturbé et son débit ne peut plus augmenter en proportion des besoins de l’organe irrigué. Là est le mécanisme principal de l’ischémie éprouvée à l’effort par le myocarde (angine de poitrine) ou par les membres inférieurs (claudication intermittente). Tel n’est cependant pas le cas du cerveau, dont le fonctionnement n’entraîne pas d’augmentation prononcée du débit sanguin. L’athérosclérose des artères cérébrales tend donc à rester silencieuse plus longtemps encore que celle du cœur ou des membres inférieurs.

La manière dont une sténose est tolérée est très variable d’une situation à l’autre: un élément décisif est l’abondance et la qualité des circulations collatérales. L’obstruction d’une artère détermine la mise en jeu de réseaux de secours: le sang contourne l’obstacle en empruntant les branches de l’artère situées en amont de l’obstruction pour atteindre son aval; cela se fait par la dilatation et même par le développement du réseau artériel secondaire local. Selon que ce système naturel de compensation est efficace ou non, la même charge d’obstruction athéroscléreuse peut dans un cas ne provoquer aucune ischémie et dans un autre, au contraire, entraîner une ischémie sévère et invalidante.

Deux interventions thérapeutiques principales visent à pallier une insuffisance de circulation collatérale. La première consiste à établir un chenal collatéral en implantant par chirurgie un conduit, ou pontage, qui relie l’amont à l’aval de la sténose. On utilise pour cela un matériau synthétique ou, mieux, une veine superficielle du malade (habituellement prélevée à la cuisse ou à la jambe), voire une de ses propres artères (pontage coronaire utilisant l’artère mammaire interne, vaisseau secondaire dont on peut priver le sujet sans inconvénient). La seconde méthode consiste à lever la sténose: l’angioplastie chirurgicale ouvre l’artère pour retirer directement la plaque par curetage (endartériectomie); l’angioplastie endoluminale percutanée consiste à introduire une sonde spéciale (cathéter muni d’un ballonnet gonflable) dans le réseau artériel à l’aide d’une aiguille piquée à travers la peau dans une artère périphérique (généralement la fémorale à l’aine), à amener l’extrémité du cathéter au contact de la sténose, puis à en gonfler le ballonnet sous bonne pression pour dilater en force l’artère rétrécie. On cherche aussi à mettre au point des médicaments, dits angiogéniques, capables de stimuler le développement des circulations collatérales naturelles.

Rupture de plaque

La chape fibreuse qui couvre la plaque peut se rompre, ce qui met en contact le sang circulant avec la profondeur de la lésion. Il en résulte deux conséquences: d’une part, du sang sous forte pression peut s’engouffrer dans la brèche pour former un hématome, parfois volumineux, à l’intérieur de la plaque; d’autre part et surtout, la barrière de l’endothélium étant désunie, le système d’hémostase (c’est-à-dire antihémorragique) interprète la rupture comme une plaie artérielle et ses mécanismes de colmatage s’enclenchent, aboutissant à la formation d’un thrombus («caillot»). Outre les éléments coagulants, les plaquettes sanguines qui s’agglutinent au niveau de la brèche sécrètent de puissantes substances qui contractent le muscle artériel et peuvent entraîner un spasme du vaisseau qui en rétrécit plus encore la lumière.

Les conséquences d’une rupture de plaques sont variables. Dans le pire des cas, la masse de la plaque, celles de l’hématome et du thrombus et l’action du spasme s’additionnent pour aboutir à l’occlusion de l’artère. Le sang ne passe plus du tout. Si une circulation collatérale efficace ne s’était pas constituée auparavant (du fait d’une sténose préexistante), le tissu dont l’irrigation dépend de l’artère occluse est brutalement privé de sang. C’est l’ischémie aiguë thrombotique, qui, si elle dure un temps suffisant (quelques minutes pour le cerveau, quelques heures pour le cœur et pour le pied), aboutit à la mort, ou nécrose (infarctus), du tissu. Des médicaments (thrombolytiques) sont capables de digérer les thrombus et de restaurer la perméabilité de l’artère. Administrés en urgence lors d’une occlusion coronaire récente, ils permettent dans bien des cas d’éviter la survenue d’un infarctus du myocarde ou au moins d’en limiter la taille. Leurs bénéfices dans les occlusions aiguës touchant le cerveau et les membres inférieurs sont moins bien établis. Autre éventualité, le thrombus n’occlut pas l’artère au niveau de la plaque rompue, mais s’en détache pour former un projectile (embole) qui, entraîné par le courant sanguin, part occlure une artère d’aval et provoque une ischémie aiguë dite embolique. Tel est le cas commun de la plaque située à l’origine de l’artère carotide interne (au niveau du cou, derrière l’angle de la mâchoire) d’où se détache un embole qui va oblitérer une artère du cerveau ou de l’œil.

Heureusement, toutes les ruptures de plaques ne se soldent pas par une ischémie aiguë: parfois le thrombus et l’hématome se stabilisent, sans provoquer d’occlusion ni d’embolie. Le thrombus joue même alors le rôle bénéfique d’un pansement qui permet la guérison de la plaque rompue. Après quelques semaines ou quelques mois, la plaque cicatrise en incorporant le thrombus et l’hématome formés au moment de la rupture. Dans ce processus, la matière sanguine se métamorphose en matière athéroscléreuse. La plaque retrouve alors l’aspect qu’elle avait avant la rupture (plaque simple ou simple sténose), avec cette seule différence que son volume a augmenté en proportion de la quantité de sang qui a été incorporé.

Anévrisme

L’anévrisme est une dilatation de l’artère qui peut aboutir à sa rupture. Le plus commun de tous intéresse l’aorte dans son trajet abdominal, mais d’autres localisations sont possibles. On discute encore beaucoup des liens existant entre l’athérosclérose et les anévrismes artériels, avec deux points de vue opposés. Selon le premier, l’anévrisme est une conséquence de l’athérosclérose et doit être considéré essentiellement comme une exagération du processus de remodelage: pour absorber la masse de la plaque, l’anneau artériel doit se dilater afin de préserver le calibre de la lumière; si le remodelage dépasse son objectif et détermine un amincissement trop accentué de la paroi artérielle, il peut en résulter un excès de distension, avec formation d’un anévrisme. Selon le second point de vue, la dilatation anévrismale est le résultat d’une maladie de la paroi artérielle distincte de l’athérosclérose, mais souvent associée à elle (tant l’athérosclérose est banale). Il s’agirait d’un affaiblissement touchant la matrice de la média et diminuant sa résistance à la pression exercée par le sang. Un défaut, probablement inné, des protéines fibreuses (élastine, collagènes) qui la constituent serait en cause. Pour autant qu’il en soit réellement une, l’anévrisme est la seule forme d’athérosclérose qui provoque à la fois des accidents ischémiques (par thrombose) et des accidents hémorragiques (par rupture d’anévrisme).

3. Mécanismes de l’athérosclérose

Formation des plaques

La formation des plaques se déroule sur plusieurs décennies. Dans les artères coronaires, par exemple, d’authentiques plaques ne s’observent guère avant l’âge de 20-25 ans. Elles s’y forment suivant une succession de remaniements de l’intima qui débutent dès l’enfance. Bien que beaucoup d’éléments en soient encore incertains, on peut proposer le scénario suivant.

À la naissance existent des épaississements fibreux et musculaires de l’intima, formés durant la vie fœtale en certains points sensibles du réseau artériel, sans doute pour renforcer la résistance de l’artère aux contraintes imprimées localement par l’écoulement du sang. Sur ces structures normales, présentes chez tout individu, s’opère une transformation progressive, marquée par le dépôt de lipides (où prédomine le cholestérol, aboutissant à l’athérome) et par le renforcement du compartiment fibreux (aboutissant à la sclérose). L’accumulation de lipides se fait d’abord au sein de cellules spumeuses (cellules musculaires présentes sur place et monocytes recrutés dans le sang circulant). À partir d’un certain degré, le dépôt devient visible à l’œil nu sous forme de stries et de ponctuations jaunâtres, dites graisseuses, existant en un point ou en un autre du réseau artériel chez la quasi-totalité des adolescents. Le destin de ces anodines stries et ponctuations graisseuses n’est pas encore cerné avec certitude. Selon toute vraisemblance, une partie d’entre elles vont se stabiliser ou même régresser, alors que d’autres vont continuer de progresser avec un accroissement du dépôt lipidique, qui devient extracellulaire, et un développement de la sclérose qui en une dizaine d’années aboutissent à la plaque simple, avec son cœur lipidique et sa chape fibreuse caractéristiques.

Diverses théories ont été proposées pour rendre compte de cette suite plausible d’événements dans l’intima artérielle. Une majorité de spécialistes s’accordent aujourd’hui autour d’une hypothèse globale que le pathologiste allemand Rudolf Virchow avait émise au milieu du XIXe siècle: la théorie de l’inflammation.

L’inflammation est la réaction d’un tissu vivant à une agression. Son objectif est la réparation. L’inflammation aiguë s’installe rapidement après un traumatisme, comme un coup ou une plaie: gonflement plus ou moins prononcé, assorti d’une rougeur, d’une augmentation de la chaleur locale et de douleurs. La réaction s’atténue ensuite, à mesure que la réparation se fait. L’inflammation chronique survient quand le traumatisme persiste ou se répète. Une telle inflammation chronique, sujette à des poussées aiguës, est celle qu’on suspecte d’orchestrer la formation de la plaque athéroscléreuse. Les phénomènes qui entrent en jeu sont multiples et complexes, impliquant essentiellement les trois catégories de cellules présentes dans l’intima malade: cellules musculaires, monocytes, lymphocytes T. Si la sclérose est un trait constant de toute inflammation chronique, le dépôt lipidique y est moins commun. Parmi les hypothèses qui ont tenté de l’expliquer dans l’athérosclérose, la plus vraisemblable aujourd’hui est l’oxydation: l’inflammation est génératrice de petites molécules contenant de l’oxygène activé (radicaux libres), capables d’oxyder les molécules avoisinantes; l’oxydation des complexes lipidiques présents dans l’intima artérielle (lipoprotéines porteuses de cholestérol venues du sang) perturbe leur destin métabolique, aboutissant à leur dépôt dans les cellules (transformation spumeuse), puis, passé un certain seuil, à l’extérieur des cellules (athérome).

Progression des plaques

Pour provoquer une ischémie, la plaque doit grandir jusqu’à obstruer l’artère. Deux processus combinés sont sans doute en jeu. Le premier procède des mêmes mécanismes que la formation de la plaque: accumulation lente et régulière de lipides et de tissu fibreux dans l’intima. Le second procède par à-coups intempestifs, rythmés par les ruptures de plaque: si elle n’aboutit pas à l’occlusion de l’artère, la rupture se solde par une incorporation de matière sanguine dans la plaque, qui permet sa cicatrisation, mais au prix d’une augmentation de sa masse en proportion de la quantité de thrombus et d’hématome incorporés. L’examen microscopique minutieux d’une plaque évoluée permet presque toujours d’y retrouver les stigmates de tels événements, notamment sous la forme de fer et de pigments dérivés de l’hémoglobine ou de fibrine (ciment moléculaire du thrombus) plus ou moins dégradée. Le constat a mené de longue date des observateurs attentifs, tels que l’Autrichien Karl von Rokitansky en 1852 ou le Britannique John Duguid en 1946, à considérer que la plaque est essentiellement le fruit d’incorporations successives de thrombus dans l’intima artérielle (théorie de l’incrustation).

La rupture de plaque est une des clefs de l’athérosclérose – un événement sans lequel la plaque, en grande partie dépourvue de sa capacité à progresser rapidement et à provoquer l’ischémie, pourrait ne plus être une maladie meurtrière. Il apparaît donc crucial de comprendre les mécanismes impliqués dans la rupture. Malheureusement, peu de certitudes existent dans ce domaine, où la recherche est ralentie par l’absence de modèle expérimental fiable: s’il est aisé de provoquer des dépôts athéromateux et des épaississements fibreux de l’intima chez les animaux de laboratoires, il reste difficile d’y induire la formation de plaques qui se rompent. Néanmoins, l’analyse attentive de la maladie chez l’homme a déjà fourni de précieux indices, qu’on peut résumer en trois points. Premier point: l’architecture de la plaque conditionne sa solidité: le volume ne paraît pas déterminant, car il n’est pas nettement proportionné au risque de rupture (les plaques les plus petites ne sont pas les moins dangereuses et vice versa); en revanche, les plaques «molles», c’est-à-dire formées d’un gros cœur lipidique relativement à la masse scléreuse, se rompent plus volontiers que les plaques «dures», de composition inverse. Deuxième point: l’usure de la plaque favorise sa fragilité: soumise aux à-coups réguliers de l’ondée sanguine et parfois aux distorsions imprimées par les mouvements de l’artère (comme c’est le cas des artères coronaires arrimées au ventricule gauche), la plaque subit des microtraumatismes incessants dont le cumul peut affaiblir certaines zones. Troisième point: les cellules activées de l’infiltrat inflammatoire (particulièrement les monocytes) sécrètent des enzymes (protéases) capables de digérer la matrice scléreuse de la plaque (chape fibreuse) pour l’amincir et favoriser sa rupture.

Ces trois influences, avec probablement d’autres qui restent à découvrir, se combinent pour provoquer la fracture de la plaque. Des traitements qui stabiliseraient la plaque seraient un progrès décisif. Des médicaments qui diminuent fortement la concentration du cholestérol dans le sang (les statines, qui agissent en empêchant sa synthèse par le foie) améliorent notablement le pronostic de la maladie coronaire (moins d’infarctus du myocarde, moins de morts). Il est concevable que les statines puissent opérer en diminuant le volume du cœur lipidique. D’autres approches sont envisagées: par exemple, réduire l’inflammation ou l’activité des protéases qu’elle engendre, ou renforcer la sclérose pour augmenter la solidité de la lésion.

4. Causes et prévention de l’athérosclérose

Un enjeu capital est de comprendre le génie évolutif de l’athérosclérose. Pour les tenants de la théorie inflammatoire, cela consiste à identifier les agressions qui allument et entretiennent la réaction de défense pervertie qui aboutit à l’édification d’une plaque, puis à son entrée dans le cycle des complications. Là gisent les véritables causes dont la correction doit aboutir à la maîtrise de l’athérosclérose.

Dans le domaine des causes, l’épidémiologie prospective a fourni plus de renseignements solides et exploitables que la recherche de laboratoire. La technique consiste à examiner soigneusement un large échantillon de population puis à suivre ces individus sur plusieurs années, à l’affût des maladies cardio-vasculaires ischémiques, qui ne manquent pas de survenir. Il est ainsi possible de discerner des relations entre ces maladies et certaines caractéristiques préexistantes, qui prennent alors le nom de marqueurs de risque . Certains marqueurs de risque artériel sont naturels et non modifiables: le sexe masculin, l’âge croissant ou l’hérédité. D’autres, au contraire, peuvent être corrigés: des habitudes de vie comme la consommation de tabac, une alimentation trop riche en calories ou en graisses saturées d’origine animale, la sédentarité, des états pathologiques comme l’augmentation de la concentration sanguine du cholestérol (hypercholestérolémie), l’augmentation de la pression artérielle (hypertension) ou le diabète. De multiples autres marqueurs pourraient être cités, mais ils sont moins influents ou moins bien établis. La faiblesse de l’épidémiologie est qu’elle se limite à déterminer une relation d’association, et non de cause à effet, entre un marqueur et une maladie. Pour affirmer qu’un marqueur est un authentique facteur de risque , c’est-à-dire une cause, il faut démontrer que la correction du marqueur diminue la fréquence ou la gravité de la maladie. En s’en tenant à cette stricte exigence, le facteur de risque aujourd’hui le mieux établi dans l’athérosclérose est le cholestérol: on diminue le risque de la maladie coronaire en traitant l’hypercholestérolémie. En toute rigueur, pour les autres marqueurs de risque modifiables, les preuves d’un tel bénéfice sur l’athérosclérose sont actuellement moins convaincantes ou encore inexistantes.

L’excès de cholestérol est donc un des agents d’irritation qui concourt à la formation et à la progression des plaques d’athérosclérose. Nous tenons sans doute là un coupable de premier plan et disposons de moyens efficaces pour le maîtriser. Il s’agit d’un progrès décisif, mais toutes les implications n’ont pas encore été parfaitement définies. L’hypercholestérolémie est fréquente: en France, plus d’un adulte sur deux dépasse le seuil de cholestérolémie (2,2 g/l) au-delà duquel le traitement s’avère bénéfique pour les artères coronaires. La moitié de la population doit-elle être surveillée et traitée pour son cholestérol? Les responsables de santé se trouvent confrontés à un délicat enjeu économique. De plus, le cholestérol n’est pas une explication complète de l’athérosclérose, c’est-à-dire une condition nécessaire et suffisante de la maladie: celle-ci reste loin de disparaître complètement quand le cholestérol a été durablement abaissé; elle peut frapper lourdement des malades dont le cholestérol est strictement normal ou même bas et épargner de nombreuses personnes dont le cholestérol est élevé.

Les recherches continuent dans deux directions principales. La première vise à identifier aux moindres frais parmi les individus qui ont un cholestérol élevé ceux qui bénéficieront le plus d’une intervention. La seconde cherche à découvrir d’autres causes possibles de l’athérosclérose que le cholestérol. Outre les autres marqueurs de risque identifiés (tabac, diabète, hypertension artérielle, qualité de l’alimentation, etc.), plusieurs pistes sont en cours d’exploration, comme l’intervention possible d’anomalies métaboliques (excès d’homocystéine), de désordres immunitaires ou d’agents infectieux.

L’athérosclérose est une énigme partiellement résolue: les données en sont connues (ce que sont les plaques et comment elles provoquent les maladies ischémiques); un déterminant majeur en a été identifié, l’excès de cholestérol, qu’il est possible de corriger; de puissants moyens palliatifs sont disponibles pour en diminuer les conséquences (médicaments limitant la thrombose, interventions d’angioplastie et de pontage). Les dernières statistiques reflètent pourtant l’imperfection de nos connaissances: le nombre nouveaux cas d’athérosclérose ne diminue guère, mais le pronostic de la maladie s’améliore, avec une réduction régulière de la mortalité qui lui est imputable.

athérosclérose [ ateroskleroz ] n. f.
• 1904; de athéro(me) et sclérose
Méd. Épaississement et perte d'élasticité des parois internes des artères, accompagnés de formation d'athéromes (cf. Artériosclérose). L'infarctus du myocarde, manifestation type de l'athérosclérose.

athérosclérose nom féminin (allemand Atherosklerose) Maladie dégénérative des artères, très répandue, due à l'athérome et comportant un épaississement et un durcissement de leur paroi gênant la circulation sanguine. ● athérosclérose (difficultés) nom féminin (allemand Atherosklerose) Sens Ne pas confondre ces deux termes médicaux dont les sens sont proches mais distincts. 1. Artériosclérose = maladie de l'artère caractérisée par un épaississement diffus de sa paroi. 2. Athérosclérose = maladie de l'artère causée par la formation d'un dépôt (athérome) sur sa paroi. Orthographe Avec un h après le t. Sens artériosclérose

athérosclérose
n. f. MED Sclérose artérielle secondaire à l'athérome.

⇒ATHÉRO(-)SCLÉROSE, (ATHÉROSCLÉROSE, ATHÉRO-SCLÉROSE) subst. fém.
MÉD. Sclérose artérielle, caractérisée par la formation d'un athérome (cf. athérome B).
ÉTYMOL. ET HIST. — 1949 (GARNIER-DEL. 15e éd.).
Empr. à l'all. Atherosklerose, mot formé par le médecin all. Marchand, de Leipzig (Marchand ds Verhandlungen des Kongresses für innere Medizin herausgegeben von Leyden und Pfeiffer, Wiesbaden, 1904 : [...] der Name Arteriosklerose [ist] nicht hinreichend umfassend für die gesamte Erkrankung. Ich möchte daher für diese den Ausdruck ,,Atherosklerose`` oder, wenn man lieber will, ,,Sklero-Atherose`` der Arterien empfehlen). Comp. du rad du gr. athérome et de Sklerose, corresp. all. de sclérose.
BBG. — BONV. 1969. — CHEVALLIER 1970. — GARNIER-DEL. 1961 [1958]. — Méd. 1966. — Méd. Biol. t. 1 1970. — POMM. 1969. — QUILLET Méd. 1965.

athérosclérose [ateʀoskleʀoz] n. f.
ÉTYM. 1904, Marchand, in Garnier; de athéro(me), et sclérose.
Méd. Variété de sclérose artérielle. Athérome. || L'infarctus du myocarde, manifestation type de l'athérosclérose.
1 Ainsi depuis un quart de siècle vit-on sur l'idée qu'on peut prévenir et combattre l'athérosclérose (maladie provoquée par le dépôt progressif de cholestérol sur les parois des vaisseaux sanguins), en activant l'élimination du cholestérol par des médicaments appropriés et en réduisant, dans l'alimentation, la quantité des produits susceptibles d'augmenter sa formation dans l'organisme.
Dr Simon, in le Nouvel Observateur, déc. 1967.
2 Cause majeure des infarctus du myocarde et des infarctus cérébraux, par occlusion des artères, l'athérosclérose, qui atteint des sujets de plus en plus jeunes, est responsable d'un nombre considérable de décès et de cas d'invalidité.
la Recherche, no 86, févr. 1978, p. 131.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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